La presse tabloïd se meurt au Mali. Le dire est devenu une lapalissade tant la réalité crève les yeux. Rares sont les publications qui arrivent à écouler 100 exemplaires par parution à l’exception notable de deux ou trois titres. C’est une crise majeure du journal imprimé dont il convient d’analyser les causes en profondeur.
Analysons à grands traits les causes apparentes et sous-jacentes : la crise de la covid 19 des années 2000 a considérablement bouleversé les habitudes de travail des journalistes, leur capacité à mener des investigations sérieuses, réduit la mobilité des populations en raison des politiques de restriction décidées par les gouvernants. Les priorités des consommateurs se sont modifiées ; on préfère avoir le regard rivé sur l’écran de tv en quête des dernières infos sur la progression de la terrible pandémie que mettre le nez dehors pour chercher un journal chez le marchand du coin. Mutatis mutandis, on se barricade comme on peut.
La covid 19 a montré au grand jour la vulnérabilité des entreprises de presse écrite au Mali et en même temps leur capacité de résistance face aux réalités du terrain.
Ces trois ou quatre dernières années, une crise énergétique sans précèdent dans la durée et la persistance a réduit au silence beaucoup de nos médias et dans d’autres cas alourdi le coût de fabrication des journaux. Une crise multiforme qui a brisé le moral des éditeurs de presse, obligés d’acquérir des groupes électrogènes ou des panneaux solaires à grands frais pour pouvoir paraitre. Cette situation a aussi entrainé des vagues de licenciement les entreprises ne pouvant plus faire face aux charges salariales et de fonctionnement. Les annonceurs qui auraient dû faire preuve de solidarité en ces temps de vache maigre se font littéralement « courtiser » pour laisser tomber quelques subsides à des canards boiteux à l’article de la mort. C’est dire que la manne publicitaire s’est asséchée depuis fort longtemps. Les subventions de l’Etat sont portées disparues depuis de longues années. Malgré leur modicité, elles faisaient encore rêver en des lendemains meilleurs. Beaucoup de journaux ont touché le fond, tenaillés par une angoisse existentielle. La plupart des journaux font semblant d’exister, paraissant régulièrement à l’improviste quand ils ont les moyens de payer les frais d’impression. Quant au personnel rédactionnel, il compte des mois d’arriérés de salaire. Les plus téméraires habités par un optimiste extraordinaire s’accrochaient à l’espoir d’une reprise rapide du moins inéluctable.
Après ces sauts d’obstacle quasi infranchissables, les journaux font face à des concurrents impitoyables, de nouveaux acteurs surgis sur la scène médiatique : les réseaux sociaux. Ils livrent instantanément des informations que les tabloïd mettent souvent 24h selon qu’ils soient quotidiens ou plusieurs jours à publier selon qu’ils soient hebdomadaires. Généralement adeptes des informations ni vérifiées ni recoupées, les réseaux sociaux tiennent pourtant la vedette chez un nombreux public non initié. Ce nouveau tribunal sui generis amplifie la culture des polémiques, porte atteinte à l’honorabilité d’honnêtes citoyens, déstabilise les institutions. Quand la première salve est partie, même un rectificatif ne peut redresser le tort causé. Ici on leur flanque l’appellation de « videoman ». Cette nouvelle caste de communicants est souvent sans scrupule, travaillant à la commande payée rubis sur l’ongle. Ils ont leurs affidés, un public friand de sensationnel.
Hélas c’est par les réseaux sociaux que l’organisation terroriste Daesch a recruté des milliers de combattants aux quatre coins du monde pour semer la mort et la désolation. C’est par ce moyen que la propagande djihadiste s’est propagée. Cependant, utilisés à bon escient par des mains expertes, les réseaux sociaux constituent un formidable outil de communication débarrassé de tout esprit mercantile et de nuisance. L’industrie du numérique a façonné le monde en boostant les initiatives créatrices, la science et les technologies de pointe.
Aujourd’hui l’univers virtuel des réseaux sociaux s’étend au-delà de l’imaginable. Il enveloppe le monde entier. Il a pris le contrôle de la terre sans tirer un seul coup de fusil. Pourquoi ne pas essayer de tirer le meilleur parti de cette révolution planétaire puisque nous ne pouvons ni en arrêter l’expansion ni en réduire les effets ? Le virage digital s’impose à la presse tabloïd comme une nécessité vitale, une exigence existentielle pour atteindre une autre dimension de l’information. Nous avons fait le pari de nous y engager. Nous comptons sur votre soutien pour relever ce nouveau défi.
Bréhima Traoré
