Nouveau rebondissement dans la gestion complexe de l’Accord de paix issu du processus d’Alger, la Coordination des Mouvements de l’Azawad (CMA) demande une réunion d’urgence de la Facilitation internationale dans un « lieu neutre ». Cette correspondance en date du 10 Décembre adressée à Mr. Ramtane Lamamra ministre algérien des Affaires étrangères et de la Communauté nationale à l’étranger, chef de file de la Médiation internationale en dit long sur la crise de confiance qui s’accentue entre la Rébellion et le gouvernement de Transition. La suspicion n’est pas nouvelle ; ce qui l’est, c’est la demande d’une réunion d’urgence dans « un lieu neutre », donc en dehors du Mali. Cette évolution ne doit pas surprendre outre mesure parce qu’elle s’adosse à un faisceau d’indicateurs, de déclarations et de postures du chef de file de la Médiation internationale tendant à incriminer le Gouvernement de Transition. Citons pour mémoire cette sortie du président de la République algérienne Démocratique et Populaire Abdelmadjid Tebboune devant la presse algérienne le 31 juillet : « je demande aux dirigeants actuels du Mali de retourner à la légalité dans les meilleurs délais. Pour sortir de la crise, il faut des élections, il faut donner la parole au peuple. Tant que l’Accord de paix ne sera pas appliqué, les problèmes du Mali persisteront ».
Le ton est à la foi comminatoire, sévère et vexatoire à mille lieux des formules diplomatiques usuelles entre nations qui se respectent. L’Algérie, il est vrai, avec 1400 kilomètres de frontières avec le Mali, est un acteur majeur dans la résolution de la crise entre groupes rebelles et gouvernement central. Mais, elle pousse trop loin son avantage. Recevant l’ex président de la Transition malienne Bah Ndaw alors en visite de travail de 72 heures à Alger le samedi 13 Mars 2021, le chef de l’Etat algérien ne déclarait-il pas avec l’aplomb du leader d’une superpuissance qui se sent incontournable, « la solution au Mali sera à 90% algérienne ». L’Algérie considère le nord du Mali comme sa « profondeur géostratégique ». Devant toutes ces déclarations condescendantes qui seraient sous d’autres tropiques de véritables casus belli, les Autorités de la Transition ont montré profil bas. Ces propos venant de tout autre dirigeant auraient provoqué la convocation de son plénipotentiaire pour se voir opposer une vigoureuse protestation diplomatique. Cette capacité d’indignation sélective n’est certainement pas à l’honneur de la diplomatie malienne. Bravo à la Realpolitik. Mais, notre honneur en prend un coup.
Brouille diplomatique
Cette évolution entre les deux » pays frères et amis » doit s’analyser dans le contexte de la brouille diplomatique d’une part entre Alger et Paris suivie d’une réconciliation spectaculaire et d’autre part entre Paris et Bamako qui gagne en intensité au gré des circonstances. A peine la rupture est-elle consommée entre Bamako et Paris que le président de la République française Emmanuel Macron est accueilli en grande pompe à Alger du 25 au 27 Aout 2022 au cours d’une visite officielle où une « Déclaration pour un partenariat renouvelé » a été adoptée par les deux parties qui inscrit désormais la relation bilatérale dans une » dynamique de progression irréversible » et fixe désormais le cap des retrouvailles franco-algériennes par la création d’ un » Haut Conseil de Coopération » qui se réunira tous les deux ans. Le clou de la visite a été certainement la réunion sécuritaire du 26 Aout entre les deux présidents, leurs chefs d’Etat-major des armées et les chefs des services de renseignements que Paris n’a cessé de réclamer pourtant depuis l’instauration de l’opération Serval en janvier 2013. Ce qui n’était jamais arrivé dans la relation franco-algérienne assez tumultueuse.
Cette visite du président Macron a été suivie de celle du Premier ministre Elisabeth Borne à la tête d’une forte délégation ministérielle de 16 ministres et 50 entreprises. Finie donc la brouille diplomatique consécutive aux déclarations inconsidérées du Chef de l’Etat français : « l’Algérie n’existait pas avant la colonisation française » (Macron dixit) ; il accusait alors le système politico-militaire algérien d’ » entretenir une rente mémorielle ». En représailles, le gouvernement algérien avait interdit le survol de son territoire aux avions français en partance ou en provenance de Barkhane au Mali et décidait que l’anglais serait la deuxième langue du pays après l’arabe. Le désamour était donc profond et le divorce acté. Mais, on le sait depuis Charles de Gaule « les Etats n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts ». Aujourd’hui, entre les deux Etats, il n y a de place que pour un « partenariat global d’exception » (l’expression est de Tebboune). Et en gage de bonne volonté pour célébrer l’entente cordiale entre les nouveaux partenaires, la France concèdera à la partie algérienne dans le trafic aérien 82 nouvelles dessertes hebdomadaires sur la France dont 79 pour Air Algérie. Emmanuel Macron acceptera de délivrer 8000 visas supplémentaires aux étudiants algériens cette année qui viendront s’ajouter aux 30.000 jeunes déjà présents sur le sol français.
L’axe Paris-Alger est au beau fixe. Avant cette évolution, Ramtane Lamamra était en visite à Bamako le 5 octobre 2021. Il avait qualifié de » faillite mémorielle » les propos tenus par Macron sur le Mali et l’Algérie, « le destin de l’Algérie et le destin du Mali sont étroitement liés et la solution à nos problèmes est entre nos mains », avait-il déclaré à la presse. Régis Debray a eu raison d’écrire « une communauté de destin ne se forge qu’en se trouvant un ennemi commun, élément structurant et revitalisant des relations internationales. » Aujourd’hui, force est de reconnaitre que le Mali se retrouve bien seul face à la France, l’Algérie regarde ailleurs, notamment vers Paris et …les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), l’organisation des pays émergents où elle vient de faire acte de candidature.
Débarrassée de la France et de son bras armé Barkhane qui constituaient des obstacles majeurs dans sa volonté d’hégémonie sur la bande sahélo-saharienne, Alger a désormais les mains libres, du moins en est-elle convaincue, dans ce nouveau champ de confrontation diplomatique et sécuritaire internationale. D’autant qu’elle évolue en terrain connu. AQMI (Al qaïda au Maghreb islamique) qui écume le Sahel est né du GSPC algérien, lui-même émanation du Groupe islamiste armé (GIA) tous d’obédience algérienne. Les services de renseignement algériens connaissent bien la structuration des différents groupes armés qui évoluent dans le Sahel et passent pour être des spécialistes en manipulation. L’Algérie maitrise parfaitement les relais de communication avec Iyad Ag Ghali, l’ennemi public nO1 au Mali. Grand parrain de tous les accords de paix du gouvernement malien avec ses différentes rebellions armées depuis plus de trente ans, Alger n’entend plus être un comparse dans le règlement des crises sécuritaires à ses frontières. Que nenni ! Pendant toutes ces années de conflit, elle s’est cantonnée à assurer un service minimum laissant les acteurs extrarégionaux s’embourber en tirant les ficelles de la rébellion tout en se présentant devant ses interlocuteurs maliens comme le garant de la paix. Reconnaissons quand même à Abdelmadjid Tebboune sa franchise parfois brutale : » le terrorisme existe au Mali mais une partie est fabriquée « que la situation du Mali « aiguise les appétits de certains Etats …A chaque fois que nous tentons de rassembler les frères (les belligérants maliens dans un pays donné certaines parties s’ingèrent » (le 31 juillet devant la presse algérienne). Le chef de l’Etat algérien reconnait implicitement que dans la crise sans fin qui tenaille le septentrion et le centre du Mali il y a des agendas cachés. Mais alors il n’en tire aucune conclusion pour son pays dont l’immobilisme confine à la connivence avec des groupes rebelles. C’est là qu’apparait l’imposture du géant algérien et le sens qu’il faut donner à la déclaration du président Tebboune : « la solution au Mali sera à 90% algérienne ». . Le Chef de file de la Médiation internationale dans la mise en œuvre de l’Accord de paix issu du Processus d’Alger n joue un jeu ambigu. Il avance masqué. Le nouveau coup de sang de la CMA lui donne l’opportunité de confirmer son leadership sur la médiation. Une autre illustration du jeu de cache-cache auquel se livre le parrain algérien est la mise en place d’un organe à l’efficacité douteuse.
Le jeudi 13 octobre, les Chefs d’Etat-major des armées d’Algérie, du Mali, de Mauritanie et du Niger réunis en session extraordinaire au sein du Comité d’Etat-major Opérationnel Conjoint (CEMOC) se sont retrouvés à Alger sur l’initiative du gouvernement algérien. Créé en Avril 2010 par la seule volonté des Autorités algériennes en vue de coordonner la lutte contre le terrorisme au Sahel et « mener des opérations de localisation et de destruction des groupes terroristes », le Cemoc dont le quartier général est basé à Tamanrasset dans le sud algérien est resté une coquille vide. Le Centre commun de partage de renseignement annoncé comme un projet-phare de l’organisation est à l’état de mort cérébrale. Bref, les réalisations du Cemoc démentent l’ambition.
C’est cette organisation moribonde dont on chercherait en vain une seule réalisation qui justifierait son existence que le Président Abdelmadjid Tebboune tenta de ressusciter le 13 octobre devant les hauts gradés des pays cités plus haut ainsi que les ambassadeurs des Etats membres permanents du Conseil de Sécurité de l’ONU accrédités en Algérie et d’autres diplomates. A cette occasion, le chef de l’Etat algérien a retrouvé ses accents souverainistes et panafricanistes en évoquant notamment son opposition au « principe de l’ingérence étrangère, l’encouragement du dialogue interne et la sauvegarde de l’intégrité territoriale et la cohésion nationale des Etats ».
Derrière cet acronyme séduisant de CEMOC, se cache en réalité une volonté farouche du pouvoir algérien de reprendre la main dans la lutte contre le terrorisme et le leadership dans la géopolitique du Sahel. N’étant pas membre du G5 Sahel dont elle a été tenue à distance par la France qui était hostile à sa présence et à la suite du retrait du Mali de cette organisation le 15 Mai 2022, et sa brouille diplomatique avec la France, Alger rêve de reprendre l’initiative. Car, osons le dire, sans le Mali, le G5 Sahel demeure une ambition avortée.
L’Armée nationale populaire d’Algérie n’a jamais été au rendez-vous du Sahel. Car, depuis sa création elle souffre d’une tare congénitale : sa doctrine lui interdisait toute projection en dehors du territoire national, héritage de la colonisation française. Jusqu’à ce Ier novembre 2022 où un referendum constitutionnel devrait lever ce verrou institutionnel pour lui permettre d’entreprendre des opérations militaires en dehors de ses frontières nationales. Ainsi tel un pompier cerné par les feux de brousse, l’Armée nationale populaire assistait impuissante si elle ne les encourageait pas en sous-main aux manœuvres de déstabilisation des mouvements terroristes dans le Sahel. Sa doctrine contredit l’ambition de jouer un rôle régional. Pendant plus d’une décennie, Le CEMOC est apparu comme une supercherie, une vaste blague. Pendant douze ans, l’Algérie a entretenu l’illusion d’une gestion sécuritaire concertée de l’espace sahélien commun aux quatre pays en étant incapable d’engager ses propres troupes dans une opération militaire.
Pourtant, ce pays est la troisième puissance militaire en Afrique après l’Egypte et l’Afrique du Sud, selon le Global Fire POWER 2022, un organisme américain spécialisé dans l’évaluation et le classement des armées du monde. Avec un PIB de 166 milliards de dollars et un revenu par tête d’habitant de 3720 milliards $ en 2021, l’Algérie premier producteur africain de gaz naturel et 4ème d’or noir dispose de revenus considérables et d’un soft power indéniable pour jouer un rôle déterminant dans l’éradication des groupes terroristes et du cycle de rebellions dans le septentrion malien. Comme elle l’a fait avec le GSPC et le GIA, de triste mémoire, qui s’étaient illustrés par des attentats sanglants avec des milliers de victimes sur le sol algérien et en 2013 lors de la prise d’otages du complexe gazier d’In Amenas et le comportement héroïque des forces spéciales qui a permis de neutraliser les terroristes.
L’engagement sincère, déterminé et de bonne foi de la partie algérienne peut mettre hors d’état de nuire la galaxie des groupes djihadistes et terroristes dans le septentrion malien et la bande sahélienne. Le peut-elle ? Peut-être, en commençant à déployer sa » solution algérienne à 90% ».
Ibrahim Traoré
